Giovanni : La musique au service de l’Église universelle
Je m’appelle Mouhamadou Célin Giovanni N’TIA N’KOUE. J’ai 33 ans et j’habite à Poissy depuis 10 ans. Je suis marié et père d’une fille. Je suis né dans une famille catholique et musulmane. Ma grand-mère maternelle est une princesse de Djougou (ville du Nord-Ouest du Bénin). Tous les soirs après l’école, j’allais suivre avec mes cousins et cousines des cours d’écriture de langue Arabe et de lecture du Coran. C’est là que mon éveil musical a réellement commencé. J’ai tout de suite été immergé dans la psalmodie des versets coraniques dont l’intonation mélodique se transmet par tradition orale comme chez les juifs avec la lecture de la Torah. Chez nous, catholiques, à cet âge, on rencontre peu de jeunes chantant le psaume à la messe du dimanche. Mais cela n’est pas impossible. À y réfléchir…
Entre musique, mosquée et église
Grâce à un oncle, je me suis mis à la guitare. Pour progresser, j’ai rejoint la chorale paroissiale de ma ville. Je n’avais pas arrêté ma pratique musulmane. C’était essentiel pour moi. Je vivais ma foi en 2D. J’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts d’esprit. Cela m’a permis d’explorer différentes voies et de choisir librement. Je ne dis pas que c’est le modèle à suivre. C’est mon expérience. Et cette expérience m’a apporté une grande ouverture d’esprit. Le vendredi je me retrouvais donc à la mosquée. Le dimanche, je jouais à la messe. Par la suite, j’ai rencontré une famille italienne imprégnée de spiritualité franciscaine. De là, me vient mon prénom de Giovanni. La pratique intense de la musique m’a petit à petit éloigné de la mosquée. Les répétitions et animations devenaient de plus en plus nombreuses. Je trouvais un grand plaisir de louer le Seigneur. Je jouais dans plusieurs chorales et dans plusieurs églises de confessions religieuses différentes. L’église était mon école de musique. Elle l’est encore pour les jeunes. On avait tous hâte que le dimanche arrive. Les messes étaient très festives et chaque chorale avait son orchestre.
Riche d’une double culture musicale
Après un baccalauréat scientifique, j’ai quitté le Bénin pour la France. J’ai étudié la musique et la musicologie à l’université de Tours. Le chemin n’a pas toujours été facile. Mais en persévérant, j’y suis arrivé. Je suis aujourd’hui riche d’une double culture musicale. J’ai obtenu mon Master 2 à l’Institut Catholique de Paris. Je suis également titulaire du Diplôme de Musicien Intervenant. J’ai aussi été formé en guitare jazz à l’American School of Modern Music. La guitare reste mon instrument de prédilection, même si je suis poly-instrumentiste.
Après mes études, j’ai enseigné dans différents endroits, notamment aux conservatoires de Blanc-Mesnil (93) et de Garches (92). J’enseigne aujourd’hui la musique à l’Institut Notre-Dame les Oiseaux à Verneuil-Sur-Seine. J’ai participé à de nombreux projets musicaux. Par exemple, je me suis retrouvé le 16 mai 2009 avec le Gospel Choir de Paris sur la scène du Stade de France. C’était les 30 ans du groupe Kassav. Aujourd’hui, je suis chef de chœur ou musicien dans plusieurs chœurs en Île-de-France. Mon « laboratoire », c’est le chœur Émeraude au groupement paroissial de Poissy. Le but est de redynamiser l’animation liturgique et de vivre l’Église de notre temps, une Église joyeuse et catholique, qui fait l’unité des différences dans une multiculturalité non exclusive.
La musique a un langage universel, comme l’Église
J’ai découvert le projet Église métisse en octobre 2019. J’accepte de rejoindre ce projet, car je trouve important de rappeler par nos actes que l’Église Catholique est, par définition, universelle et unique. La musique a un langage universel. En musique il n’y a pas de nationalité, ni de couleur lorsqu’on joue une même partition. C’est une forme de spiritualité qui vaut la peine d’être vécue et partagée au bénéfice de tous. La musique rassemble tout le monde en un seul corps.
Je suis tout de même dérangé par le mot « métisse ». Pour moi, il renvoie à l’esclavage et au colonialisme. Les séquelles sont encore profondes. L’histoire a imprimé dans la conscience de plusieurs peuples une loi du dominant-dominé. On avait oublié que l’être humain est au centre de l’histoire. On avait oublié Dieu qui nous a créés à son image. On avait oublié la parole du Christ : « Aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34). L’Église de la Pentecôte est universelle. Pour ma part, plutôt que l’idée d’Église métisse, je préfère défendre la notion d’Église universelle qui jouit de sa richesse multiculturelle avec une identité unique forte.
Le groupe de travail sur la Liturgie
J’ai aussi accepté de piloter le groupe de travail sur la Liturgie. L’objectif est d’abord de rappeler ce qu’est la Liturgie catholique et comment elle doit se vivre. L’idée est aussi de réfléchir ensemble sur les différentes expressions de la liturgie qui existent selon le pays et la culture. À la suite du Concile Vatican II, l’Église s’est enrichie de différentes couleurs d’animation liturgique importantes. La Misa Criolla créée par le compositeur argentin Ramirez est un exemple concret de ce vers quoi nous devons tendre pour redynamiser l’Église. Sur le plan musical, je voudrais entrer concrètement dans l’interprétation des chants que nous offre la messe. Cette interprétation variée des chants permet de rompre avec une certaine monotonie du rite dominical.
Enfin pour notre église des Yvelines, je voudrais à terme créer un grand orchestre qui réunisse petits et grands de toutes nationalités, de toutes cultures, de toutes origines, orchestre dans lequel chacun aura sa partition à jouer. J’ai conscience qu’il s’agit d’un grand défi à relever. Mais, comme le dit la composition de Didier Rimaud et de Jacques Berthier : Nous sommes le corps du Christ, chacun de nous est un membre de ce corps, chacun reçoit la grâce de l’Esprit pour le bien du corps entier.
Giovanni N’TIA N’KOUE