Laïcité : représenter la diversité des convictions
La France prédestinée à l’exceptionnalité ?
« La France n’est pas un pays comme les autres ». Comment comprendre cette affirmation inaugurale de la Lettre du Président Macron aux Français annonçant le Grand Débat National ? Est-ce simplement un constat ou bien l’affirmation d’une vocation particulière ? Est-ce une observation empirique ou bien la proclamation d’une sorte d’article de foi ? La suite de la lettre suggère que le caractère spécifique de la France lui vient de sa manière particulière d’incarner les valeurs de sa devise, données dans l’ordre : fraternité, égalité, liberté. Là encore, la devise républicaine tire-t-elle sa valeur d’un consensus ou bien exprime-t-elle une essence permanente de la France ? Dans le premier cas, on est dans un discours de type empirique et conditionné ; dans le second, on est dans un discours de type religieux. Le Président Macron joue sur l’ambigüité des deux niveaux. Il veut faire vibrer la corde de la France éternelle pour mobiliser les énergies. Mais aborder sainement le thème de la laïcité nécessite de clarifier le statut de la mystique républicaine résumée dans la devise de la France. Y a-t-il une religion républicaine au-dessus des autres convictions religieuses et philosophiques et garante de la laïcité ? Ou bien la mystique républicaine est-elle contingente, sujette à évolution, entrant au même niveau que les autres convictions dans le débat sur la laïcité ?
Liberté et mystique républicaine
Concernant la liberté, la Lettre précise : « [La France] est aussi une des plus libres [de toutes les nations], puisque chacun est protégé dans ses droits et dans sa liberté d’opinion, de conscience, de croyance ou de philosophie ». Les convictions religieuses et philosophiques sont mises en parallèles, d’une certaine manière, et cela paraît juste dans la mesure où elles prétendent donner une réponse à des questions ultimes, définir un système de valeurs, proposer un sens à l’existence… Mais alors, n’y a-t-il pas contradiction dans les termes en affirmant une mystique républicaine permanente ayant pour dogme la liberté, dans la mesure où la liberté est aussi celle de mettre en question cette mystique républicaine ? Du coup, on pourrait supposer cette mystique valable tant qu’elle n’a pas été remise en cause, mais dans ce cas, il est nécessaire de prévoir les modalités de son évolution. Nous touchons à ce qui doit être le cœur du débat sur la laïcité : comment débattre et déterminer ce socle de valeurs qui va constituer pour un temps la mystique républicaine ? Il n’est pas ou plus possible d’affirmer une vocation de la France à l’exceptionnalité sur la base des trois valeurs de sa devise. La loi de séparation des Eglises et de l’Etat a décroché la nation d’une stabilité éternelle lui venant d’une foi en un Dieu révélé. Il faut aussi que la nation accepte de lâcher l’ersatz que lui en avait fourni la religion républicaine car elle n’est plus consensuelle dans une France métisse.
Fourches caudines ou évolution du cadre ?
La France actuelle se trouve face à un défi : celui de réussir à faire participer l’ensemble de la nation au jeu démocratique. Tant que l’immense majorité des français se sentaient concernés par ce jeu, on pouvait se permettre d’ignorer ceux qui faisaient bande-à-part. Dans notre pays menacé par les communautarismes, on ne peut absolument plus se le permettre. On pourrait penser qu’ils finiront par se rallier aux valeurs d’une culture ambiante encore majoritaire. N’est-ce pas une illusion ? Les évolutions actuelles montrent plutôt une radicalisation des oppositions. Plus on retarde le débat sur ce sujet, plus on risque un éclatement de la nation et des affrontements violents. Le thème de l’insertion du religieux dans l’espace républicain est central pour espérer retrouver une certaine unité nationale. La religion républicaine du passé ne suffit plus. Vouloir y soumettre l’ensemble des français d’origine migrante rappellerait les fourches caudines sous lesquelles les anciens Romains faisaient passer les peuples vaincus. C’est bien le cadre qui doit évoluer et non seulement la Loi de 1905. Il faut donner aux français la possibilité de rechoisir les valeurs fondatrices de la vie ensemble. Il faut leur permettre de définir un pacte républicain évolutif.
Représenter la diversité religieuse et philosophique
L’Assemblée Nationale, avec des députés élus au suffrage universel direct, est le lieu institutionnel où se concrétisent les choix des français dans le jeu démocratique habituel. Elle fonctionne sur une constante de temps de 5 ans. Elle est sujette aux mouvements rapides de l’opinion. Pour révéler les orientations plus profondes et durables des français sur tout ce qui concerne les questions de sens, ne serait-il pas nécessaire d’inventer quelque chose ? On peut imaginer une assemblée élue et renouvelée par parties représentant les français dans leur diversité religieuse et philosophique. Il lui reviendrait de définir la laïcité mais aussi d’aborder les questions éthiques et d’élaborer un récit national dans lequel se retrouvent tous les français. Une telle assemblée permettrait de rompre avec l’idée d’une France éternelle qui n’existe pas. Elle permettrait en revanche de faire émerger une France du présent avec ses convictions profondes en perpétuelle adaptation à un monde changeant.