Le soulèvement en Haïti (1791)

En 1789, dès le début de la Révolution française, les Droits de l’Homme et du Citoyen sont proclamés. Les colons, on l’a dit, s’opposent à leur application aux Antilles, et même à la reconnaissance des droits civiques aux hommes « libres de couleur ». Cela va entraîner à l’été 1791, le soulèvement de Saint-Domingue, la future république d’Haïti.

La révolte des esclaves à Saint-Domingue

On sait désormais dans toutes les plantations des Antilles que la Révolution est en marche à Paris avec la formule magique Liberté, Égalité et Fraternité. La tension est palpable et la force va bientôt parler avec la révolte des esclaves qui éclate le 22 août 1791 à Saint-Domingue. C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de l’île en 1803 ; la plus grande révolte servile de l’Histoire… et la seule qui ait réussi ! Cela couvait depuis longtemps. Dès les années 1770, le marronnage est endémique : des bandes d’esclaves en fuite s’organisent en communautés libres dans la montagne, et mènent des équipées parfois violentes contre les colons ou l’administration coloniale. D’autres révoltes locales surviennent à la Martinique et en Guadeloupe, mais elles ont été plus facilement endiguées car les lieux de refuge sont moins nombreux. En France, pour la Société des amis des Noirs, le marronnage est la preuve de l’inéluctabilité d’une insurrection générale et de la nécessité d’abolir la traite et, progressivement, l’esclavage.

Grâce au soulèvement du 22 août, minutieusement préparé dans le nord de l’île et orchestré par des mulâtres et des noirs affranchis qui s’appuient sur les esclaves des plantations, les insurgés ne tardent pas à prendre possession des campagnes tandis que les principales villes restent aux mains des élites coloniales fidèles à la société d’Ancien Régime. La plupart des sucreries sont détruites, une partie des planteurs sont massacrés, mais des témoignages évoquent aussi la clémence des esclaves vis-à-vis des anciens maîtres les plus humains.

Toussaint Louverture, Léger-Félicité Sonthonax

Portrait de Toussaint Louverture (vers 1743-1803),
par Girardin (an XIII soit 1804 ou 1805)

Parmi les chefs de la révolte, il en est un nommé Georges Biassou qui a l’appui du culte vaudou très populaire chez les esclaves. Il se choisit comme secrétaire et aide-de-camp un insurgé qui va vite faire preuve de véritables qualités intellectuelles, militaires et politiques, c’est Toussaint Louverture, le futur interlocuteur incontournable. Esclave affranchi sachant lire et écrire, il est lui-même propriétaire d’une plantation de café avec une dizaine d’esclaves à son service. Une parfaite illustration d’un début d’ascension sociale qui aurait pu lentement faire évoluer les mentalités sur l’île. La Révolution française va en faire par la suite un général à son service, mais très vite il n’aura qu’une idée en tête : devenir le leader incontesté d’un pays indépendant. On en reparlera !

À Paris, le gouvernement révolutionnaire décide d’envoyer sur place une commission pour tenter d’apaiser la situation et armer la colonie contre l’invasion étrangère. En effet, les Anglais et les Espagnols ont envahi la partie  française de l’île de Saint-Domingue avec la complicité de certains colons. La commission est munie des pleins pouvoirs, avec mission de faire appliquer la loi sur les droits civiques des hommes libres, quelle que soit leur couleur de peau, mais aussi de rétablir l’autorité de la France et d’inciter les esclaves à retourner travailler aux plantations. Léger-Félicité Sonthonax est l’un des trois commissaires. C’est un abolitionniste convaincu, ami de Brissot, au caractère enthousiaste, et il va conduire la délégation avec des idées bien arrêtées… mais sans doute prématurées.

Le rétablissement de la situation et l’abolition de l’esclavage

Portrait de Léger-Félicité Sonthonax (1763-1813),
représentant en mission, par un peintre non-identifié

Les commissaires s’embarquent pour Saint-Domingue le 29 avril 1792. À leur arrivée, le 18 septembre, ils découvrent une situation explosive. Ses écrits étant connus, Sonthonax reçoit un accueil glacial de la part de la population blanche. Il décide de s’allier avec les mulâtres libres et d’imposer ainsi son autorité par la force. Il prononce alors la dissolution de l’assemblée coloniale exclusivement composée de Blancs. Enfin entré à Port-au-Prince, la capitale frondeuse, en avril 1793, il n’hésite pas à asseoir son autorité en forçant à l’exil les colons les plus extrémistes, avant-garde d’une émigration massive qui surviendra les années suivantes dans la crainte d’un massacre généralisé.

Il faut aussi faire face à l’invasion étrangère ! Les commissaires ont débarqué avec  trois ou quatre bataillons de volontaires de la Garde nationale, mais cela ne pouvait suffire pour se battre sur quatre fronts à la fois : contre les Anglais, contre les Espagnols (qui s’appuient sur la petite armée de Toussaint Louverture), contre les esclaves révoltés et contre les colons blancs qui gardent encore leurs partisans. À cette situation inextricable, Sonthonax répond par une mesure proprement révolutionnaire : il va faire appel à la « force noire » en abolissant l’esclavage.  Le 29 août 1793, il décréta l’abolition générale dans la province du Nord, et le 21 septembre son collègue Polverel  en fait autant dans les départements de l’Ouest et du sud. Les esclaves volontaires – ils sont d’abord circonspects et ont du mal à y croire – sont armés pour combattre les ennemis de la République.

Décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794) abolissant l’esclavage dans les colonies.

Une telle mesure permet en quelques mois de rétablir la situation militaire, mais non point la situation sociale qui reste délétère. Sur le rapport des trois délégués que Sonthonax envoie en France (un blanc, un mulâtre et un noir… savant équilibre !), c’est le 4 février 1794 que la Convention ratifia dans l’enthousiasme la décision d’abolir l’esclavage dans toutes les autres colonies françaises. Toussaint Louverture lui-même se ralliera aux commissaires en mai 1794, non sans arrière-pensées… car rien n’est véritablement réglé, nous le verrons dans l’épisode suivant.

A suivre…

José Maigre

<  Article précédent : La Société des amis des Noirs (1788) >

< A suivre >

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs requis sont indiqués *