DR. La cueillette de la canne à sucre, gravure.

De Louis XIV à la Révolution : les îles à sucre et l’esclavage

Commençons par un rappel : le 1er empire colonial du royaume de France, ce fut d’abord en Amérique du nord le Canada – le Québec d’aujourd’hui – et la vaste Louisiane qui s’étendait sur l’équivalent de 13 états des actuels États-Unis. Le Canada fut perdu en 1763 car, comme l’a dit Voltaire, « cela ne vaut pas la peine de se battre pour quelques arpents de neige ». La Louisiane, qui n’a pas été conquise militairement,  est d’abord cédée gracieusement à l’Espagne. Puis Napoléon la vendra aux Américains en 1803. Il y eut aussi la Guyane, occupée par le vice-amiral d’Estrées en 1677 qui en chasse les Hollandais. Son vaste territoire a des frontières incertaines : du Maroni à l’Amazone, ou à l’Oyapock. Elle restera fort peu peuplée et exploitée à cause de son climat trop insalubre, le parent pauvre de mauvaise réputation des colonies américaines. 

DR Doc Player.

La colonisation des Antilles

Il en est tout autrement d’une partie des Antilles – les « îles à sucre » – qui resteront dans le giron français, ainsi que nos comptoirs des Indes (récupérés par la République indienne seulement en 1956) ou l’île Bourbon, devenue la Réunion en 1793. L’Isle de France fut conquise, elle, par les Anglais en 1810 qui la rebaptisèrent Maurice (elle est indépendante depuis 1968). Cet archipel des Mascareignes, découvert par les navigateurs arabes, avait été conquis sur les Portugais car il constituait une étape idéale sur la route des Indes pour la marine à voile et on y développa, comme dans les Antilles, des cultures vivrières et tropicales. Des comptoirs des Indes, on ramenait cotonnades, soieries et thé de Chine, et épices des Moluques.

Première interrogation, pourquoi et comment le royaume de France     s’est-il intéressé aux îles de l’archipel des Antilles ? D’abord, et avant tout, par souci de puissance et pour contrer l’Angleterre qui resta longtemps notre ennemi héréditaire, après le déclin de la monarchie espagnole. Le premier, dans le royaume de France, à avoir une véritable politique maritime et coloniale d’envergure fut le cardinal de Richelieu (1585-1642) : à côté des premières implantations au Canada, il va s’intéresser à l’archipel antillais  où la colonisation espagnole a laissé de la place aux ambitions européennes en n’occupant à long terme que Cuba et Porto Rico. L’Espagne abandonna la partie occidentale de Saint Domingue à la France – la future Haïti –  et la Jamaïque à l’Angleterre. Les autres îles – bien plus petites – furent âprement disputées entre la France, l’Angleterre et la Hollande. Pour ce qui est du royaume de France, la colonisation des Antilles est lancée à Saint-Christophe en 1625, puis à la Guadeloupe et la Martinique où les premiers colons s’installent en 1635. Ils se disputent avec les Anglais la possession de la Dominique qui reviendra définitivement à l’empire britannique en 1763, et obtiendra son indépendance en 1956 dans le cadre du Commonwealth.

DR. Atlas Caraïbe.

Bien évidemment, l’occupation de ces « Petites Antilles » s’est faite,  comme lors de la conquête espagnole particulièrement inhumaine, au détriment de la population amérindienne. Regroupée sous l’appellation générique d’Indiens caraïbes, elle disparut presque complétement sous le triple effet de la conquête par les armes, des ravages liés aux épidémies transmises par les Européens et du travail forcé. Les rares survivants, après s’être réfugiés dans les zones difficiles d’accès, finirent par se fondre avec les nouvelles populations de colons, d’affranchis et d’esclaves. Très vite, en effet, l’esclavage s’imposa comme un « modèle économique » car le travail de force en zone tropicale ne convenait pas aux « engagés » venus de France aux frais des propriétaires de plantations, lesquels les faisaient travailler gratuitement durant trois années pour se rembourser leur passage et leur installation.  Les colons sont trop peu nombreux et la main d’œuvre blanche ne résiste pas au climat ? Qu’à cela ne tienne ! On va donc recourir à l’esclavage à partir de 1642, selon le triste exemple des pays qui nous ont précédés au siècle précédent au Nouveau Monde, l’Espagne et le Portugal, avec la complicité active en Afrique noire des marchands d’esclaves musulmans et des potentats locaux qui considèrent les tribus razziées  comme une simple monnaie d’échange, et non comme des personnes humaines.

Le commerce triangulaire

DR. Document pédagogique, Académie de Nantes.

Richelieu a su convaincre Louis XIII que le salut des infidèles d’Afrique, œuvre pie à ses yeux, tout autant que prétexte, passe par l’esclavage aux Antilles et l’Église a laissé faire… alors que l’esclavage avait été – grâce à elle – éradiqué dans l’Occident chrétien. Il devient l’objet d’un commerce à part entière entre les quelques ports d’attache métropolitains (surtout Rouen, Nantes, La Rochelle et Bordeaux) et les comptoirs du Sénégal  (Saint-Louis, Rufisque, et l’îlot de Gorée), ou du golfe de Guinée, où l’on s’approvisionne en « bois d’ébène » contre de l’argent ou de la pacotille (pièces de tissus, outils, armes ou objets manufacturés, colifichets). Direction ensuite les Antilles où l’on débarque les quelques centaines de futurs esclaves (homme, femmes et enfants) qui ont survécu à la traversée, et où l’on charge le sucre et les autres produits tropicaux. Le taux de mortalité par voyage était en général de 15%, même si les capitaines faisaient leur possible pour limiter les décès. C’est ensuite le voyage-retour vers les ports métropolitains, où l’on décharge la précieuse marchandise, et où l’on arme pour le prochain voyage. Inutile de dire que ce commerce triangulaire – le périple durait environ 18 mois – fut très fructueux pour les armateurs et les villes qui le contrôlaient, mais aussi pour les caisses du royaume et l’économie nationale.

DR. Un navire négrier.

Toutes nations confondues, la traite aurait introduit en deux siècles aux Amériques entre 9 et 12 millions d’esclaves, et considérablement appauvrie la population africaine. Le sucre a rapidement supplanté le tabac et l’indigo comme principale culture tropicale dans les Antilles. Il nécessite une main-d’œuvre très importante – et bien sûr gratuite, histoire d’engranger un maximum de bénéfices – pour la coupe des cannes, l’extraction du jus et la fabrication des pains de sucre, ou la bonne marche des rhumeries.

José Maigre

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