Firmin Miabatoussa

La vraie justice est le produit de la colère et de la raison

George Floyd, Afro-Américain de 46 ans, est décédé en mai 2020 après une arrestation brutale. Son agonie filmée dans une vidéo devenue virale a provoqué une émotion mondiale, frappant les pays selon leur histoire et leur passé. Ce drame renvoie les Etats-Unis à ses vieux démons raciaux. Peu après est revenue dans l’actualité l’affaire Adama Traoré, ce jeune homme de 24 ans mort à la suite d’une interpellation à Beaumont-sur-Oise. Une affaire au cœur d’une longue bataille judiciaire devenue symbole de la lutte contre les violences policières.

Ne pas oublier les traumatismes de l’histoire

Très vite la jonction a été faite entre les deux drames. Certes, il s’agit ici et là d’une interpellation policière sur un homme de couleur. L’émotion avait sa raison d’être car il y a de part et d’autre mort d’homme, mais le rapprochement n’a pas échappé au risque d’amalgame et d’instrumentalisation. Ces drames se sont déroulés, d’un côté dans une Amérique traumatisée par son passé esclavagiste et de l’autre dans une France perturbée par son passé colonial.

Vente-achat d’esclaves

Dans les deux cas, le passé a du mal à passer. Les traumatismes de l’histoire n’ont sans doute jamais été bien traités et minent depuis longtemps ces sociétés. Les débats sur l’esclavage et sur le colonialisme ont toujours créé une espèce de malaise inconscient. Ils conduisent à reposer le problème des rapports complexes entre l’État, l’histoire et la mémoire. Le danger serait d’opérer ce que l’écrivain Luc Amine appelle une « ablation de l’histoire ».

Passer de l’émotion légitime à la raison

Les deux drames ont engendré un lourd sentiment d’injustice et ont fait hurler au crime raciste. Ce serait faire preuve d’une dangereuse myopie que d’occulter l’existence d’inégalités, de discriminations, de violences policières ou de racisme structurel. Ces faits existent et gangrènent toutes les sociétés, « civilisées » ou « non civilisées ». Ils altèrent nos existences et créent un impact négatif sur la société qui les tolère. Mais, vouloir systématiquement appréhender ces tragédies sous le seul angle du racisme peut conduire à une impasse de la pensée et nuire à la réflexion.

Toute violence, toute injustice, toute discrimination suscite de l’émotion. Mais uneémotion est rarement neutre ou spontanée. Elle est souvent provoquée, canalisée. C’est de la bonne gestion de cette émotion que peuvent germer le questionnement et s’installer la raison qui permet d’objectiver nos sentiments sans sombrer dans l’hystérie collective. Quand la raison s’évapore, les monstres se réveillent et s’installent, le plus pernicieux étant l’idéologie qui pousse à extrapoler et à tout ramener à des réalités systémiques.

L’injustice et les discriminations ne sont pas des mythes, mais envelopper leur combat dans une logique idéologique entretient le risque du récit imaginaire et de la persécution perpétuelle. Pour un débat serein, qui ne fragilise pas les fondements d’un vivre ensemble, il faut sortir du diktat de l’émotion et de l’hystérie antiraciste.

Le véritable enjeu, c’est le vivre-ensemble

Qu’on ne s’y trompe pas, dans cette guéguerre, le vivre ensemble est l’enjeu fondamental, le défi permanent qui réclame notre intelligence. Le plus grand risque dans notre lecture hystérisée de ces faits tragiques, c’est de jouer avec le feu du conflit intercommunautaire, lequel porterait un coup à la démocratie et détruirait le substrat indispensable à l’acceptation des différences, à l’écoute, au respect, à l’estime et à la reconnaissance envers autrui, et finalement à la vie dans un esprit de paix et d’harmonie.

Les deux drames, celui de la France et celui des Etats-Unis, viennent bousculer les mémoires et les récits nationaux. Les symboles sont aujourd’hui soumis à la critique et à une nécessaire déconstruction, leur légitimité est mise en discussion, sans doute avec raison.Mais dans ce débat, ce qui semble essentiel, c’est de reconnaitre, de manière apaisée, sans passions ni polémiques, ce passé déchirant pour avoir une vision commune et construire une société égalitaire. Il ne faudrait surtout pas perdre de vue qu’une part importante de l’avenir de nos communautés politiques se joue dans les réponses que nous serons capables d’apporter. La complexité de nos sociétés, avec leur passé douloureux, incite parfois à des cris de colère. Cependant entre le cri et la colère, il faut être raisonnable. La vraie justice est le produit de la colère et de la raison.

Firmin Miabatoussa

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